Qu’elles ont dû être âpres, les discussions, depuis samedi matin jusqu’à hier soir, entre les dieux du foot réunis autour de la table, pour décider si la France du 3ème millénaire méritait de s’inviter au carnaval de la plus grande compétition sportive de l’ère moderne, dans le pays qui a fait la gloire de son sport et son universalité.
Méritaient-ils le châtiment éternel, ces imbéciles, ces hilotes millionnaires, dénués des valeurs humaines de base, bien au-delà des symboles patriotiques ? Le respect, l’humilité, le don de soi, l’altruisme, la politesse. Mais aussi le recul, la réflexion, l’autocritique, le sens de la mesure… Toutes ces vertus et qualités oubliées qui m’avaient conduit à ouvrir ce blog il y a trois ans et demi, au lendemain d’un abominable et improbable désordre (http://humeurdefoot.over-blog.com/article-54523481.html puis http://humeurdefoot.over-blog.com/article-la-tragedie-bleue-bilan-de-la-xixeme-coupe-du-monde-3-10-54672142.html).
Pour les uns, majoritaires, il fallait les radier à vie. Pas (seulement) pour l’exemplarité de la sanction en imaginant son effet dissuasif sur les générations futures. Mais pour tout changer : les cadres, les mentalités, une certaine politique et espérer recréer une cohésion, une dynamique, saine, ce ciment social dont une équipe nationale ne peut en aucun cas se passer pour exister et susciter l’adhésion et la passion.
Pour les autres, il fallait croire à la rédemption. Blanc ou Deschamps seraient les seuls à pouvoir y mener ce troupeau de brebis égarées par un système trop longtemps formaté et permissif, ces Dolly déconnectées du monde réel. Le premier a cru y parvenir, mais la mal était encore trop frais. Pour le second, sa légendaire bonne étoile et sa foi indéfectible dans le maillot bleu ont fini, au bout de l’interminable route de « l’enfer et contre tous », par expier les pires tourments de ces brebis, même les plus malades.
Comme un symbole, hier soir, Patrice Evra, le footballeur le plus détesté du pays, a réalisé un match somptueux. Il cristallise à lui seul tout ce que le footballeur amateur et l’amateur de football ont exécré pendant quatre ans. Et même s’il ne deviendra jamais la Jeanne d’Arc des temps modernes, loin s’en faut, même s’il ne gagnera jamais ne serait-ce que la place d’Amoros dans nos cœurs, la folie du Stade de France l’a entrainé, comme les autres, dans une sorte d’expiation nationale.
Oui, chacun, dans son canapé, a senti hier soir avant le coup d’envoi que quelque chose d’irrationnel allait se concrétiser. Tous n’en avaient pas forcément envie et chacun n’occultera jamais le passé. Mais la cause nationale l’emporte toujours. Quelle que soit son opinion, quels que soient ses ressentiments. C’est comme ça. On porte son Histoire. Encore. Heureusement.
Pour décider, peut-être que les dieux du football avaient invité autour de leur table Garrincha et Socrates. L’un comme l’autre auront sans doute expliqué qu’à 28 ans d’intervalle, ils ont vu des petits bleus merveilleux leur tenir tête, voire les vaincre. Et qu’une coupe du monde au Brésil sans eux leur semblait incongrue.
Mais peut-être, aussi, qu’il ne s’agissait juste que d’un simple match de foot, qui a bien tourné parce qu’une vingtaine d’enfants gâtés ont échangé, puis changé, le temps d’une soirée, au moins. Parce qu’un Deschamps inspiré a fait les bons choix, parce que le public a enfin joué son fameux rôle de douzième homme, parce que les oreillettes du corps arbitral ont bien fonctionné après un premier but injustement refusé à Benzema…
Ok, je veux bien, mais les deux buts de Sakho, hein, ils viennent d’où ceux-là ? Et qui l’a empêché d’enlever son maillot après son second but (il était parti pour, le bougre !) pour récolter un deuxième avertissement synonyme d’expulsion (le dernier quart d’heure eut été intenable) ?
Et quid de cette Marseillaise collective improbable, entonnée par les chanteurs à crampons dans le rond central et communiée avec 80.000 bienheureux ?... A défaut d’en connaître les paroles, puissent ceux devenus désormais définitivement des ex-mutins en avoir mesuré la portée. Parce que les miracles n’arrivent qu’une fois.
Charelca
LE JEU ET LES JOUEURS : Pogba, l’élu
La première mi-temps de l’équipe de France fut exceptionnelle. Même si personne n’oubliera que sans les abdominaux de Debuchy, l’Ukraine aurait réduit le score juste avant la pause, on garde surtout l’image de vagues bleues incessantes qui ont totalement noyé le bloc ukrainien, pourtant si impressionnant quatre jours plus tôt.
Au-delà de l’indéniable détermination collective qui transpirait dans chaque mouvement bleu, les titularisations de Cabaye et Valbuena ont bien sûr clairement été déterminantes. Formidable rampe de lancement, le premier a réalisé une prestation monumentale. Avec un minimum de déchet dans la transmission et une activité inlassable en sentinelle d’un milieu de terrain perpétuellement projeté vers l’avant. Le second, étincelant en première période, a équilibré le jeu offensif des Bleus, alors que Ribery était martyrisé pour la deuxième fois de la semaine.
A propos du munichois, j’entends ci et là qu’il n’a pas été très bon. Quelle ânerie ! Le premier but c’est lui, pour beaucoup, le troisième but c’est encore grandement lui et l’expulsion, décisive, c’est toujours et uniquement lui. Cette expulsion a pesé très lourd, au final. Car physiquement, les Bleus ont logiquement pioché en seconde période. La supériorité numérique leur a donc permis de gérer leur outrageuse domination, territoriale et dans la possession de balle, alors que Valbuena et Benzema disparaissaient progressivement des débats. Pour mieux achever les ukrainiens au moment où le manque de lucidité, la fatigue, la frustration et la peur du vide les dévastaient peu à peu…
Pogba a illustré ces deux visages de l’équipe de France. Conquérant pendant le premier acte, tout en maîtrise durant le second. Mais constant, toujours présent et souvent juste dans ses choix tactiques. Il est évident qu’il représente, du haut de ses 20 ans, la plus belle chose qui est arrivée au football français depuis 15 ans.
La France a donc la chance, toutes les deux décennies, de voir naître un joueur d’exception. Après Platoche, après Zizou, le surnom de Paul Pogba est encore en attente. Mais son talent précoce, lui, est factuel. Le nouveau fiancé de la Vieille Dame représente la réincarnation réunie de Tigana et Vieira, auxquels s’ajoute une technique supérieure qui respire la grande classe. Physique comme l’enfant des Caillols, athlétique comme le grand Pat’, il a aussi déjà compris que son talent individuel n’avait de sens qu’au service du collectif.
Outre ces qualités intrinsèques, sa maturité précoce et sa vision du jeu en font donc l’élu. On avait compris il y a bien longtemps que ce ne pouvait être Ribery, même en prétendant au Ballon d’Or (ce que le seul Suède-Portugal d’hier soir pourrait d’ailleurs suffire à tempérer). Il a bien fallu finir par admettre que ce ne serait pas non plus Benzema, quand bien même l’ancien lyonnais est l’avant-centre du plus grand club au monde depuis quatre ans.
Non, l’élu se nomme bien Pogba. En quatre jours, et même si ses prestations seront sans doute voilées par une liesse née avant tout d’une réussite collective, pas de doute : le guide, désormais, c’est lui. A Deschamps de lui donner les clés, sa confiance et son intelligence de situation. Personne, mieux que lui, n’est placé pour le savoir et le faire.
Charelca