Troisième volet du bilan de la Coupe du monde disputée en Afrique du Sud. Après le triomphe espagnol et les déboires de l’arbitrage, retour sur la « catastrophe nationale » avec le véritable séisme qui a secoué le football français.
Tout ou presque a été écrit sur le gigantesque fiasco de l’équipe de France de football en Afrique du Sud. Pathétique de bout en bout, elle s’est ridiculisée aux yeux du monde, emportant avec elle un sport et tout un pays.
Evidemment, précisons d’emblée que ce n’est pas tant par ses résultats, tellement prévisibles, que par un comportement d’ensemble totalement hallucinant, qu’un simple échec s’est transformé en une catastrophe nationale.
D’aucuns ont comparé les quelques trois semaines passées à l’hôtel Pezula de Knysna au « mythique » mais peu regretté « Loft Story ». Le vase clos et les bouffonneries quotidiennes s’en rapprochent effectivement, sauf que si dans un cas, le spectateur riait grassement chaque soir ou presque, dans l’autre, la comédie gentillette a tourné à la tragédie, au fil d’un scénario insensé qui rappellerait plus, pour jouer sur les mots et ne retenir que les larmes de fin, le grand Love Story.
Ceci dit, la tournure prise par les événements depuis peut interpeller : cette traque à l’homme, à l’espion, aux meneurs, n’est-elle pas disproportionnée ? En règle générale, les chasses aux sorcières ne sentent jamais très bon, non ?
« Pendez-les haut et court ! »
« Evra et tous ses complices radiés à vie de l’équipe de France ! Cet ersatz de capitaine l’a dit, Toulalan et Lloris l’ont répété, ils étaient tous solidaires ! Ah les traitres ! Punissons-les tous ! » Ecoutez, même des anciens "pros" le disent...
Ah oui ? Et pourquoi pas écarteler Domenech en place publique pendant qu’on y est ? Ou euthanasier Escalettes ? Pour finir, on jettera la Roselyne et la Rama dans une arène pleine de boue en espérant qu’elles s’égorgent !...
Devant un tel déferlement médiatique, un individu qui sortirait d’un mois de coma poserait la question suivante : mais quel crime ont-ils donc tous commis pour susciter autant de haine ? On lui répondrait, à froid et après mûre réflexion : parce qu’ils ont tous oscillé entre la médiocrité et la nullité, sur le terrain et en dehors. Ce à quoi il pourrait alors rétorquer : depuis quand l’incompétence, même notoire, est-elle passible des assises ?
La vérité, c’est que tout ce vilain petit monde, qui vit dans la soie avec un égo à en faire pâlir la Grenouille de La Fontaine, a cassé le beau jouet, ébréché le Graal et remplacé l’opium de millions de français par un excitant aux effets agressifs et incontrôlables. Car vu de France, le comportement d’ensemble de nos ambassadeurs a rapidement exaspéré mais aussi modifié sensiblement la perception par les grands et les petits du statut de ces héros high-tech au casque vissé sur la tête.
Ils ont péché, c’est grave et condamnable, mais cela ne justifie en rien un tel acharnement. Surtout, les adultes, parents et éducateurs, ont le devoir d’expliquer aux enfants que si leurs idoles sont devenues des chèvres, sur le terrain et dans un bus, les posters qui les représentent, cloués sur les murs de leur chambre, ne doivent pas pour autant se transformer en cibles pour fléchettes.
Ceci étant dit, il ne s’agit pas non plus de profiter des vacances scolaires pour tout oublier. Faute lourde il y a eu, sanction il doit s’appliquer. Alors quels sont les vrais coupables ? Les dirigeants, le sélectionneur ou les joueurs ?... Mais tous, mon bon seigneur ! Oui, ils peuvent tous être blâmés et, avec un brin d’objectivité, dans des proportions semblables…
« Nico, Patrice, Raymond, Jean-Pierre et les autres »
Dans la hiérarchie des responsables de ce navet, le premier est évidemment le producteur, la Fédération Française de Football. Elle et ses dirigeants, incompétents dans la gestion du fleuron du football français, et symbolisés par Jean-Pierre Escalettes, leur « patron », un grand-père de 75 ans sympathique mais totalement dépassé.
Subissant tout de A à Z, la FFF n’a montré dans cette affaire, et c’est sans doute le plus grave, aucune capacité de réaction de nature à inverser les cours des événements. Au contraire, sa seule action (l’exclusion d’Anelka) lui est revenue en pleine figure par un groupe étonnamment solidaire, à l’opposé en tous cas de son expression collective en matière footballistique…
N’oublions par ailleurs jamais que c’est bien la FFF qui a décidé, envers et contre tous, de maintenir Raymond Domenech comme sélectionneur d’une équipe dont l’état était déjà alarmant deux ans plus tôt. Si la seule raison de cette confirmation venait du statut de vice-champion du monde conquis en 2006, c’est encore plus dramatique, puisque, sans prendre de risque, on peut avancer l’idée que Raymond Domenech n’y était pas pour grand-chose...
Domenech justement, le metteur en scène, est souvent présenté comme l’accusé numéro un. Après le regretté Raymond-la-science, voici Raymond-le-bouffon !
D’emblée, le sélectionneur a suivi la voie de ses prédécesseurs, Aimé Jacquet et Roger Lemerre (on a déjà tous oublié Jacques Santini) dans cette lutte perdue d’avance contre les journalistes. On parle pourtant là d’une presse française, et non britannique, espagnole ou italienne. Inéluctablement, son déficit d’image s’est creusé, pour terminer dans des proportions abyssales au cours des six derniers mois.
Il s’est chargé lui-même d’achever le travail lors de son dernier match à la tête de la sélection, en refusant lamentablement de serrer la main de son homologue sud-africain, le brésilien Carlos Alberto Parreira, champion du monde, lui, avec la Seleção en 1994. Un geste honteux et inexcusable pour un éducateur.
Mais ce qu’il faut surtout lui reprocher, c’est d’avoir multiplié les mauvais choix comme technicien ; son job. La liste est tellement longue qu’il faudrait deux tomes pour les conter, mais trois des plus frappants, pour ne s’arrêter que sur cette coupe du monde, furent sans doute la non sélection de Karim Benzema, le choix du duo Gallas-Abidal dans l’axe central de la défense bleue et les titularisations répétées de Nicolas Anelka et Sydney Govou. Ces trois actes résument beaucoup de choses.
Karim Benzema ne partage pas avec Franck Ribéry que les mises en examen. En toute subjectivité bien sûr, il dispute à l’ancien messin le statut de meilleur joueur de football du pays. Ne pas l’intégrer dans la liste des 23, au nom de la paix sociale du groupe est consternant. Au fait, quel groupe ? Celui du vestiaire à insultes ou celui du bus ?
Pour revenir à l’ancien lyonnais, il n’a rien d’un caïd. Que les millions lui aient fait tourner la tête et son égo, peut-être, certainement même, mais de là à se priver de lui… Quel gâchis !
Pour la charnière composée de William Gallas et Eric Abidal, c’est encore pire. Le premier n’avait pas joué depuis des mois et le second est tout sauf un arrière central de haut niveau. Leur association était vouée à l’échec. Ce fut un désastre.
On ne s’arrêtera même pas sur les cas Anelka et Govou. Totalement inexistants, ils ont traversé cette coupe du monde comme des fantômes. L’entêtement à les aligner dans le onze de départ tenait donc soit de la bêtise, soit de la cécité.
Pour résumer, dans le premier cas, Raymond Domenech ne savait pas comment gérer un de ses meilleurs atouts, alors il a préféré l’exclure. Dans les deux autres, il a commis des erreurs incroyables sur les plans technique et tactique, indignes de son statut et de son rang. Tout est dit, n’en jetez plus…
Enfin, comment oublier les acteurs, solidaires dans la bêtise pour jouer leur plus mauvais rôle. On a décrit les joueurs comme des mutins… Des fumistes oui ! Sans s’en rendre compte, par leur grève inepte, ils ont sali le maillot bleu ; ses valeurs, son histoire et tout ce qu’il représente.
Mais répétons-le : s’ils ont commis une faute, ils ne méritent pas, pour autant, la guillotine ! Eux aussi ont été emportés dans la tourmente, avec le poids de leur jeunesse. Il faut y voir, assurément, une circonstance atténuante et tous les vieux acteurs sur le retour doivent faire appel à leurs propres souvenirs, à leur propre histoire, dans leur rôle de footballeur, ou simplement d’homme…
Deux sanctions sont d’ailleurs déjà tombées : la première, financière, avec la privation immédiate des primes versées par la FIFA à la FFF (primes qui devraient être reversées au football amateur) et la seconde, sportive cette fois, puisque Laurent Blanc, le nouveau sélectionneur, a décidé de ne retenir aucun des 23 agitateurs pour le match amical en Norvège, le 11 août prochain.
Ces deux décisions fortes et symboliques doivent suffire à clore le chapitre « punitions pour les grévistes ». Car l’essentiel est ailleurs…
« Maillot bleu mon amour ! »
Plus grave que la grève en tant que telle, c’est sans doute le coup de ciseau porté dans le maillot bleu qui a généré la colère de tout un pays.
Ceux qui supportent l’équipe de France depuis toujours ont tous, un jour, rêvé d’être Michel Platini, Jean-Pierre Papin ou Zinedine Zidane. Ils ont aussi pleuré avec eux, de joie ou de peine, mais avec la sensation que ceux qui portaient ce beau maillot méritaient que l’on s’associe à eux. Sans doute parce qu’ils le portaient bien. Dignement.
Oui, l’équipe de France est un luxe, que tout footballeur en herbe rêve d’intégrer. C’est un privilège, un honneur, d’y être convié. En retour, le joueur international a donc des devoirs : porter fièrement ses couleurs, respecter ce maillot, son Histoire.
Toute autre attitude est condamnable : le désintérêt, l’absence de motivation et, pire, le mépris. C’est pourtant exactement cela que les 23 joueurs sélectionnés en Afrique du Sud nous ont offert. Peu ou pas concernés, sans esprit de révolte, ils ont préféré se fourvoyer dans des querelles de bas étage, oubliant l’essentiel : l’exemplarité.
Pris dans un engrenage qui les a complètement dépassés, ils n’ont pas eu l’intelligence, la lucidité, de voir qu’ils sciaient la branche sur laquelle ils étaient assis.
Car ne nous y trompons pas : eux aussi ont énormément perdu, et pas seulement en terme de contrats publicitaires. Ils ont abandonné à Knysna beaucoup de leur crédibilité (toute pour certains), une partie de leur honneur et, sans qu’ils s’en aperçoivent, la merveilleuse chance qui leur était offerte de représenter leur nation pour disputer la plus belle des compétitions.
De sorte que Laurent Blanc devra rappeler à chacun, avant toute chose, le sens d’une convocation en équipe de France et l’investissement qu’il requiert, avant, pendant et après le match en Bleu.
Le cévenol incarne parfaitement les valeurs que l’on souhaiterait retrouver chez chacun des internationaux : le talent bien sûr, mais aussi l’intelligence et l’humilité. Pour ce qui est de l’intelligence, le mal est déjà fait pour beaucoup mais, au moins, que nos Bleus redeviennent humbles.
En ce sens, Hugo Lloris serait d’ailleurs un relai formidable pour le néo-sélectionneur. Il est jeune, certes, mais plus mature que la plupart de ses coéquipiers. Posé, il sait aussi rester mesuré en toutes circonstances. Des qualités qui ont accompagné « le Président » durant toute sa carrière. Et comme son talent est déjà reconnu, qui sait si un avenir comparable à Dino Zoff (l’emblématique gardien et capitaine de la Squadra Azzurra championne du monde en 1982) ne pourrait pas s’offrir à lui…
« Des Etats généraux du foot » à l’automne ! Voilà où nous en sommes arrivés : les politiques s’en mêlent. Au secours, fuyons !
Au même titre que la justice doit garder son indépendance vis-à-vis du milieu politique, le sport doit, pour rester cette bouffée d’oxygène unique, universelle et inestimable, préserver sa nature vierge de tout compromis.
Considérer que la maladie dont souffre aujourd’hui l’équipe de France de football est aussi grave que la crise économique et/ou que sa guérison est aussi impérieuse que la réforme des retraites est une niaiserie affligeante.
Oui, le football français connaît une crise, mais ce n’est pas la première de son histoire et elle en subira d’autres. Oui, il doit aussi subir une profonde réforme pour moderniser son organisation et son fonctionnement. Mais par pitié, ne mélangeons pas tout. C’est à lui et lui seul de se soigner. La tâche n’est pas insurmontable, pour peu qu’il veuille s’en sortir et qu’il s’administre le bon traitement.
- Charelca -