Une seule victoire probante, sur une équipe aux stars pour certaines vieillissantes, avait suffi en une soirée à propulser le PSG au rang des grands favoris pour remporter le Graal, juste à côté du Bayern, et même pour beaucoup devant le Real, l’Atletico et Dortmud. Une seule victoire. Tellement français.
Une seule soirée où le Barça, plombé par un milieu de terrain totalement inexistant, avait été éventré pendant une heure et demie par 11 parisiens certes magnifiques, plein de fougue, mais aussi de réussite (on a vite oublié l’occasion majuscule gâchée par le fantomatique Andre Gomes à 1-0 ou, à un degré moindre, le poteau d’Umtiti en fin de match). Oui le PSG avait marché sur le Barça ce soir-là, mais de là à le propulser comme un colosse après une seule soirée… Tellement français.
A les entendre, ces encyclopédies vivantes des télévisions, radios et journaux spécialisés, Veratti, Rabiot et Matuidi constituaient tout à coup le meilleur milieu de terrain d’Europe. Iniesta et Busquets étaient finis. Quant à l’absence de Rakitic, pas un mot. Aucun recul, aucune hauteur de vue. La démesure, toujours. Tellement français.
Et la mémoire, on en fait quoi ? Souvenez-vous, trois mois plus tôt, la deuxième mi-temps de Lyon-PSG ou, pire une semaine plus tard, le Montpellier-PSG (3-0). Dépassé au milieu de terrain, chancelant en défense, un colosse, ça ? On oublie, on s’enflamme et… on s’écroule, dans un éternel refrain de « plus dure est la chute ». Tellement français.
Tiens, ça me rappelle L’Amérique de Joe Dassin accompagnant le générique de Télé-Foot après une victoire française dans les éliminatoires de la coupe du monde 1994, juste avant France-Israël et France-Bulgarie. Là aussi, c’était fait, c’était plié. Et paf ! Kostadinooooov !...
La vérité, la seule vérité, c’est qu’en football, il n’y en a aucune. C’est ce qui fait son charme premier, sa magie, sa dramaturgie unique, son universalité. Surtout quand on entre dans un des deux temples où les dieux de ce sport s’amusent des certitudes et de la rationalité. Il flotte au Camp Nou (et à Anfield Road) un parfum que je n’ai retrouvé dans aucun autre des grands stades d’Europe. Celui des soirées inoubliables, des monstres sacrés, des exploits insensés. Cette magie, occultée par toute la France du foot, a saisi des parisiens envoutés peut-être, hypnotisés probablement, tétanisés sûrement. Par la peur de perdre, surtout, dans les moments qui comptent vraiment. Tellement français.
Mais il serait terriblement injuste de retirer aux barcelonais le dixième du quart du mérite de leur exploit. Iniesta est las ? Il a donné hier soir, une véritable leçon à Verrati. Car la clé du match, comme souvent, s’est trouvée dans l’entrejeu. Où le retour de Rakitic dans le 11 de départ a transfiguré le jeu du Barça, et où Rabiot et Matuidi ont à peu près tout mal fait. La défense du PSG, dont on a vite oublié la faiblesse au haut niveau européen et qui dilapide année après année les milliards qataris, ne peut faire illusion que par la présence rassurante de son milieu de terrain. Quand ce n’est pas le cas, ses insuffisances lui explosent à la figure, Thiago Silva en tête.
Cet oubli est l’erreur tragique d’Emery, qui avait choisi de dresser une forteresse afin de limiter le jeu court barcelonais dans la surface de vérité, là où ils excellent, là où ils marquent quasiment tous leurs buts. L’idée se tient, sauf qu’une fois de plus, elle repose sur la crainte, alors qu’il eut été tellement plus audacieux de s’appuyer sur ses forces. Ça aussi, c’est tellement la France du foot. Privilégier l’hypothèse du scénario-catastrophe et essayer de l’éviter, plutôt que de se projeter vers une victoire totale. Tellement français.
Lundi et mardi, j’ai souri en écoutant tant de pseudo-spécialistes railler l’optimisme catalan… « Ils font monter la sauce, c’est du marketing ! », pouvait-on entendre sur toutes les ondes ou presque. Imbéciles. Rassurons-nous, ce sont ceux-là, les mêmes qui, sans la moindre vergogne, vont se moquer dans les jours qui viennent des parisiens humiliés. Aucune capacité à l’auto-critique, aucun sens de la mesure, aucune culture, au fond, footballistique. Tellement français.
Parce que le championnat de France est d’une infinie faiblesse (mais pour le coup cette année pas d’une infinie tristesse, bien au contraire), parce qu’il peut à nouveau réaliser un formidable triplé dont seul Monaco peut le priver, le PSG peut rendre à sa fin de saison une dimension honorable. Il véhiculera pourtant à jamais l’image de celui qui s’est vu trop beau, un Icare dont les ailes, les jambes, les pieds et les têtes en cire ont fondu en 95 minutes.
Charelca